Visionnaires, voire prophétiques: ces séries qui façonnent la société
Credits: SERGEI SUPINSKY/AFP

Visionnaires, voire prophétiques: ces séries qui façonnent la société

Depuis l'invasion de l'Ukraine, la série "Serviteur du peuple", où Zelensky incarnait un président, a accédé à la notoriété dans le monde entier. Son impact sur l'actualité questionne sur la manière dont les fictions façonnent la société.

Pour Laurence Herszberg, directrice de Séries Mania, le plus grand festival de séries d'Europe qui se déroule actuellement à Lille, les fictions "investissent de plus en plus le réel" et leur influence s'accroît au fil des années. "On peut aussi manipuler avec une série" avertit-elle.

Le critique télévisé en chef du New York Times, James Poniewozik, est plus nuancé: "Je ne suis pas sûr que la télévision puisse faire croire aux gens quelque chose qu'ils ne sont pas prêts à croire". En revanche, "elle peut les aider à imaginer une réalité quelque peu différente de leur quotidien, qu'ils n'étaient pas préparés à accepter auparavant".

Il cite comme exemple les fictions américaines mettant en scène des personnages ouvertement gays, tels "Will & Grace", qui ont banalisé l'homosexualité à la télévision, avant la légalisation du mariage de personnes du même sexe.

De même, "Star Trek", en présentant dès les années 60 un équipage de vaisseau spatial ouvert à la diversité, avec une femme noire et un Asiatique, "a peut-être aidé à faire évoluer les mentalités" sur ce que pourrait être une équipe dans un bureau américain, estime James Poniewozik.

D'autant plus que les feuilletons s'inscrivent dans la durée: les téléspectateurs accèdent à ces points de vue sur plusieurs années. "Ils rendent connu ce qui est inconnu, nous familiarisent avec une hypothèse", explique Thibaut de Saint Maurice, chercheur de l'Université Panthéon-Sorbonne.

Autre exemple souvent cité: l'accession d'un Afro-Américain à la présidence des Etats-Unis dans "24 heures chrono" avant l'élection de Barack Obama.

Cependant, le pouvoir des séries a ses limites, souligne Thibaut de Saint Maurice: "Aux Etats-Unis, avec +24 heures chrono+ ou +Homeland+, en France avec +Baron Noir+, le téléspectateur s'est habitué à voir une femme présidente. Mais cela ne s'est pas produit jusqu'ici" dans ces deux pays.

Dans certains cas, la télévision permet à des personnalités de se créer un personnage qui les aide à accéder au pouvoir. "C'est le cas de Donald Trump dans l'émission de téléréalité +The Apprentice+, mais aussi de Volodymyr Zelensky avec +Serviteur du Peuple+", estime M. James Poniewozik.

"Avec +The Apprentice+, Trump a donné l'impression qu'il était un chef d'entreprise déterminé et il en a joué pendant la campagne présidentielle", ajoute le journaliste qui a écrit un livre sur le sujet.

Avec "Serviteur du Peuple", où Zelensky joue le rôle d'un professeur d'histoire devenu, contre toute attente, président, le dirigeant ukrainien s'est appuyé sur une certaine idée du leadership.

"Dans un pays où règne la corruption, l'idée est que le vrai pouvoir politique ne vient pas du fait que vous êtes fort mais au contraire que vous devez affronter les mêmes épreuves que vos concitoyens", explique James Poniewozik.

Et d'une certaine manière, Zelensky prolonge la série aujourd'hui, en se mettant en scène sur les réseaux sociaux dans les rues de Kiev avec son téléphone portable, comme pourrait le faire n'importe quel Ukrainien resté dans la capitale.

"C'est un homme politique qui est aussi acteur, producteur, metteur en scène, qui maîtrise parfaitement les codes et le vocabulaire de la fiction, ce dont il se sert pour décrire une réalité", note de son côté Thibaut de Saint Maurice.

A l'avenir, d'autres fictions pourraient faire émerger des leaders, les experts en sont persuadés.

Un nouvel exemple pourrait se concrétiser bientôt avec "Turbia", une série colombienne sur la pénurie de l'eau potable, présentée à Séries Mania: la politicienne Francia Márquez joue le rôle d'une Afro-Colombienne d'un quartier misérable de Cali, menacée d'être expulsée, à cause d'un projet d'infrastructures. Or, elle sera peut-être vice-présidente de son pays si le candidat du pôle de gauche Gustavo Petro est élu en mai.

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